Vous ne nous ferez plus taire !

Cet article a été publié le 26/02/2022

Tais-toi et prends ma plainte

Malgré l’ampleur de la vague #metoo et de ses suites, la parole des femmes victimes d’agression sexuelle et de viol n’est toujours pas entendue. L’année 2021 en aura été une nouvelle fois l’illustration : la parole des femmes qui ont dénoncé Nicolas Hulot, PPDA ont par exemple systématiquement été remises en cause.

Adèle Haenel expliquait lors du témoignage accompagnant l’enquête publiée par Mediapart sur les violences sexuelles sur mineure dont elle a été victime ne pas vouloir déposer plainte, car « la justice condamne trop peu les agresseurs ».

Le dépôt de plainte est pourtant un droit pour toutes et tous garanti par le code de procédure pénale. Mais encore une fois le passage même au commissariat représente une autre épreuve pour les victimes confrontées aux violences du système face à leurs paroles constamment défiées.
Cette remise en cause systémique est particulièrement criante dans les affaires de violences sexuelles en raison du manque de preuves et de témoins, et des difficultés à construire un discours considéré comme cohérent pour les victimes.
Leurs paroles, sans cesse fragilisées par leur remise en cause, continuent de l’être par des séries de confrontations, rendant les auditions non plus un lieu d’écoute, mais de répression de la voix des victimes.
En effet, la confrontation est une épreuve pour la victime, qui doit rencontrer son agresseur avant même que des poursuites soient engagées. D’autre part, cette confrontation va axer l’abandon ou non des poursuites sur la stabilité et l’assurance des propos d’une victime mise face à son agresseur. Ces deux paramètres vont être profondément altérés justement parce que c’est la victime, et qu’en face c’est son agresseur.
La confrontation entre la victime et l’auteur de l’agression est ainsi très souvent mise en place afin d’opposer les versions, de juger la crédibilité des accusations, et de clôturer l’enquête, qui sera ensuite classée sans suite ou entraînera des poursuites.
N. B. : La confrontation n’est en aucun cas une obligation pour les victimes, et surtout, celle-ci peut se faire en présence de l’avocat de la victime même si l’auteur n’est pas accompagné du sien.
Il faut également savoir qu’il est possible de déposer plainte directement par courrier auprès du procureur de la République, une solution qu’il ne faut pas hésiter à employer en cas de refus de plainte au commissariat.

Devant cette société représentée par une justice qui ne condamne qu’1 % des 10 % de violeurs dénoncés, nous constatons encore et toujours que la plupart du temps la parole des victimes est méprisée, minimisée, dissuadée face aux chances de succès de la procédure, voire refusée.

Devant la justice, les obstacles sont également nombreux. Dépôt de plainte, accueil par la police, confrontations inutiles, durée de l’instruction, parfois même des procédures en diffamation lancées par l’agresseur : tout concourt au classement sans suite. Devant le faible taux de condamnations, les victimes renoncent bien souvent à porter plainte.

Pour sortir de la polémique sur la présomption d’innocence : parler de « crédit de véracité »

Dans les affaires de violences sexuelles, il y a rarement des témoins. La vérité est, donc, rarement établie sur le plan judiciaire. Cependant, on brandit la présomption d’innocence, pour dire que la victime ment a priori. La présomption d’innocence est un acquis important dans le droit, mais dans le cas des violences sexuelles, elle est bien souvent détournée de manière sexiste pour retourner la culpabilité.
On ne pourra en effet jamais contribuer à libérer la parole des victimes si l’on utilise la présomption d’innocence pour mettre en doute, a priori, la sincérité de la victime. C’est la raison pour laquelle il est important de rappeler cette présomption de sincérité, résumée par le slogan : “on vous croit”. Cela ne s’oppose aucunement au respect de la présomption d’innocence qui joue sur le plan juridique alors que la présomption de sincérité joue sur le plan social. La conciliation de ces deux notions qui nous conduit à parler de victime et d’accusé‧e ou agresseur présumé‧e.

Dans l’éducation nationale, c’est toujours le « pas de vague » qui domine !

Les chiffres concernant les violences faites aux femmes montrent l’étendue du combat à mener pour les éradiquer : ils sont insupportables. 

  • 1 femme sur 2 a déjà subi une violence sexuelle,
  •  1 femme sur 6 fait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti et non désiré,
  • 16% des français·es ont subi une maltraitance sexuelle dans leur enfance,
  • 75% des agressions islamophobes visent des femmes,
  • 85% des personnes trans agressées au cours de leur vie,
  • 80% des femmes en situation de handicap ont été victimes de violences,
  • 213 000 femmes victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint chaque année
  • 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol chaque année.
  • Mais les violences ne s’arrêtent pas à la porte de nos lieux de travail. Au moins 1 femme sur 5 affirme avoir subi des violences au travail. Seules 5% d’entre elles portent plainte. 

SUD éducation intervient auprès de l’Éducation nationale et le MESRI pour que l’administration prenne enfin ses responsabilités et sa part dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. 

Notre employeur doit respecter la loi !

La circulaire du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique définit la politique qui devrait être mise en œuvre par les employeurs publics. Néanmoins, sur le terrain, les équipes de SUD éducation font le constat qu’elle est peu, sinon pas, appliquée. Partout les rectorats et les universités justifient leur manquement par un manque de temps et de moyens dédiés. 

SUD éducation revendique l’application pleine et entière de cette circulaire avec les recrutements de personnels nécessaires. 

Les violences sexuelles et sexistes sont punies par la loi. Toutefois les textes en vigueur dans la Fonction publique indiquent qu’indépendamment des poursuites pénales, l’administration doit entreprendre certaines actions lorsqu’un cas de violences sexuelles ou sexistes est porté à sa connaissance. 

L’administration doit mener des actions de prévention  : 

  • « un plan de formation ambitieux » pour les chef·fes, les référent·es égalité, les DRH, les représentant·es des personnels. Mais sur le terrain : cette formation n’est pas obligatoire, une minorité d’agent·es y participent. En l’absence de formation, ces personnels continuent de demander aux collègues victimes de harcèlement sexuel : « et vous êtiez habillée comment? »
  • des formations pour les élèves : les élèves doivent suivre au cours de leur scolarité 21 séances d’éducation à la vie sexuelle et affective. Mais sur le terrain, une récente enquête de #Noustoutes indique que les élèves bénéficient en moyenne d’à peine 13 % des 21 séances qu’ils et elles auraient dû avoir.
  • « Informer et sensibiliser le plus grand nombre d’agent·es sur les situations de violences et les acteurs à mobiliser » : via des affichages, des dépliants, des réunions de sensibilisation des agent·es une fois par an. Mais sur le terrain : Avez-vous déjà vu la moindre information sur les violences sexuelles et sexistes au travail de la part de votre employeur ? 

L’administration doit agir sur les situations de violences sexuelles et sexistes :

  • l’administration doit mettre en place une cellule d’écoute et un circuit RH de traitement des signalements. Mais sur le terrain : la mise en place est laborieuse et leur fonctionnement reste opaque.
  • protéger et accompagner les victimes avec l’attribution de la protection fonctionnelle. La protection fonctionnelle engage l’administration à mettre en œuvre toute action appropriée pour faire cesser les violences, à apporter une assistance juridique et à réparer le préjudice subi. Mais sur le terrain, obtenir la Protection fonctionnelle relève du parcours de la combattante : trop souvent l’administration ne prend pas la peine de répondre ou refuse d’agir tant que l’agresseur n’a pas été condamné pénalement.

    Pourtant la circulaire du 7 mars 2018 dit : « Il est rappelé que la responsabilité de l’employeur peut être engagée en cas de carence en matière de prévention, de protection et de traitement des violences dont peuvent être victimes les agents publics sur leur lieu de travail, indépendamment des actions pouvant être conduites à l’encontre des personnes à l’origine de ces violences. »

https://www.sudeducation.org/droits-des-personnels-la-protection-fonctionnelle-un-dispositif-pour-lutter-contre-les-violences-sexuelles-et-sexistes-au-travail/embed/#?secret=zevZgtkrEa#?secret=kaYhgKPJd5

Par ailleurs la réglementation incite l’employeur à « étendre l’application de ces dispositifs aux violences et au harcèlement d’origine extra-professionnelle détectés sur le lieu de travail ». Ainsi, les CHSCT peuvent être alertés pour proposer des mesures d’accompagnement pour des femmes victimes de violences conjugales par exemple. 

SUD éducation revendique l’obtention d’autorisation d’absence afin de pouvoir faire les démarches nécessaires ainsi que la possibilité de muter rapidement lorsque l’éloignement du conjoint violent est nécessaire. 

L’administration doit sanctionner les auteurs de violences sexuelles et sexistes

La circulaire du 9 mars 2018 incite l’employeur public à l’exemplarité dans la sanction des violences sexuelles et sexistes : « Les actes constitutifs de violences sexuelles ou sexistes doivent être sanctionnés par le biais de la procédure disciplinaire et/ou par le juge pénal. » Il est explicitement stipulé que les procédures pénales et administratives sont indépendantes. L’administration doit agir en deux temps : d’abord par mesure de suspension de l’auteur présumé des faits le temps de l’enquête administrative puis en prenant des sanctions disciplinaires.

Mais sur le terrain : l’administration refuse de suspendre de manière préventive les auteurs présumés des violences, trop souvent ce sont les victimes qui sont déplacées. SUD éducation dénonce cette maltraitance de l’administration à l’égard des agent·es contraint·es de côtoyer chaque jour leur agresseur. Les conséquences psychologiques, physiques et financières pour les victimes sont terribles.

L’omerta doit cesser ! Des moyens pour lutter efficacement contre les violences ! 

Les difficultés à mettre en œuvre une véritable politique de lutte contre les violences résulte d’un problème crucial dans l’Éducation nationale : l’absence de médecine du travail et plus généralement de personnels pour un accompagnement médico-social des agent·es. L’Éducation Nationale compte seulement 82 médecins du travail pour effectuer le suivi médical de plus 1,1 million d’agent·es. L’action des représentant·es syndicaux en CHSCT, instance de référence pour intervenir sur la santé et la sécurité des agent·es au travail, est sans cesse entravée. 

La circulaire du 7 mars 2018 est une avancée. À présent, il faut gagner les moyens de la faire appliquer : partout, des personnels doivent être recrutés pour mettre en œuvre des actions de formation, de prévention, pour recevoir et accompagner les victimes, et pour traiter les situations y compris en formant aux sanctions administratives des agresseurs. 

SUD éducation encourage tous les personnels à se réunir pour sortir du silence et à exiger de leur hiérarchie des formations sur le lieu de travail pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes !

Détruire la culture du viol !

Dans notre société patriarcale, les violences à l’égard des femmes et des minorités de genre permettent de les maintenir dans une position de domination. Il faut comprendre les violences sexuelles et sexistes comme un ensemble, un continuum : c’est parce qu’il y a des violences quotidiennes que des violences plus graves peuvent survenir : par exemple le harcèlement sexuel aura plus facilement cours dans un environnement où le sexisme est toléré par le groupe social, et les situations de harcèlement sexuel ou de violence sexiste constituent un terreau favorable aux agressions sexuelles. Le sexisme au quotidien habitue les femmes et les personnes composant les minorités de genre à la violence des hommes.

Reconnaître les stratégies des agresseurs
Pour aller plus loin et ne pas rester isolé·e !
  • le guide de l’Union syndicale Solidaires dont SUD éducation est membre : Agir syndicalement contre les violences sexuelles au travail :

https://solidaires.org/Guide-Solidaires-Agir-syndicalement-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles

Si vous êtes victime, si vous êtes témoin de violences :

  • vous pouvez récupérer sur notre site une fiche Ressources avec les contacts d’association qui pourront vous orienter et vous accompagner. https://www.sudeducation.org/wp-content/uploads/2022/02/Ressources-VSS.pdf
  •  SUD éducation accompagne les personnels de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche victimes de violences. Les militant·es de SUD éducation de votre département pourront vous écouter, vous orienter et vous accompagner dans les démarches à faire dans le cadre du travail. Pour connaître les coordonnées du syndicat SUD éducation de votre département :  https://www.sudeducation.org/contact/
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