Déclaration des personnels enseignants, formateurs, chercheurs de l’INSPé de Lyon

Les personnels de l’INSPE de Lyon s’élèvent avec force contre les dynamiques en cours liées à la mise en œuvre de la réforme de la formation des enseignants dans leur établissement, au cœur de l’université Claude Bernard. Ils alertent sur les conséquences délétères de ces dynamiques qui, si elles ne sont pas rapidement et en grande partie repensées, conduiront inéluctablement et paradoxalement à affaiblir la qualité de la formation réalisée au nom de l’Institut, là où les objectifs affichés sont pourtant de l’améliorer.

Ces conséquences sont déjà néfastes pour les personnels eux-mêmes qui se sentent peu reconnus dans leur compétence, peu entendus, et confrontés à une inquiétante perte du sens d’un métier, dans lequel ils sont pourtant très investis.

Mais ces conséquences, c’est surtout pour les futurs professionnels de l’enseignement qu’elles seront funestes, et pour leurs futurs élèves, notamment pour les plus fragiles d’entre eux… Lasociété dans son ensemble doit se donner les moyens de répondre aux grands défis sociaux,sociétaux et scolaires qui s’imposent à elle aujourd’hui. Cette réforme n’apporte aucune réponse, bien au contraire.

La situation sanitaire accentue sans doute cette crise professionnelle et institutionnelle, mais la redéfinition imposée par la réforme des contours du métier est vécue par les acteurs de la formation –ici et ailleurs- comme un déni de leur expertise. Malgré un mouvement national de rejet de ce projet déjà initié en 2020, ceux-ci alertent de nouveau sur la non prise en compte des craintes, difficultés et demandes d’amélioration exprimées avec insistance, dans la mise en œuvre de la réforme à l’échelle locale.

NOUS CONSTATONS

… la marche forcée de l’implémentation de la réforme :

  •  Malgré la situation sanitaire qui ne se prête absolument pas à l’intelligence du travail collectif ;
  •  Malgré les rejets successifs et systématiques des personnels (différents moratoires de nombreuses universités, refus du CI de faire remonter les maquettes) ;
  •  Malgré une demande d’étude de l’impact sur les services des enseignants et formateurs de l’INSPE des 33%, jamais réalisée,
  •  L’élaboration des maquettes se fait à marche forcée.
  •  Ni prise en compte des propositions pédagogiques élaborées par les équipes disciplinaires pendant une année de travail,
  •  Ni collaboration ni coopération dans cette élaboration, mais une communication sur les avancées déjà actées.
  •  Au motif que les «mauvaises performances» (PISA, PIRLS, TIMSS) seraient la conséquence de mauvaises pratiques, l’injonction de « bonnes pratiques » nous sauveraient enfin de nous-mêmes, malgré nous…

    … la parcellisation des informations :
  •  Différentes instances mises en place suivant des règles souvent opaques et une représentativité parfois discutable, et dont les prérogatives échappent à l’ensemble des personnels ;
  •  Difficulté à reconstruire du sens et de la cohérence (accès à des éléments épars de décisions déjà prises). Incompréhension des sigles et, souvent, de ce qu’ils impliquent comme réalité.
  •  Les enseignants, formateurs, personnels et chercheurs de l’INSPé ne sont jamais sollicités en tant que collectif. Il sera pourtant dit à la fin qu’ils auront contribué collectivement à ces maquettes, et qu’ils en acceptent les contours.

    … la négation de l’expertise des acteurs de la formation :
  •  Nous (enseignants, formateurs, chercheurs) sommes « du métier » et nous avons, collectivement, « du métier ». À quel moment cette expertise est-elle sollicitée ? Faut-il faire table rase de l’existant sans qu’il ait jamais été évalué ?
  •  Nous ne pouvons pas être de simples exécutants d’un métier dont nous sommes réputés experts. Les personnels engagés dans la formation des enseignants doivent retrouver du pouvoir d’agir : ils en ont été dépossédés.
  •  Nous ne nous reconnaissons pas dans ce qui est en train de se mettre en place. Nous subissons ces changements qui nous sont imposés sans que nous ayons été consultés ou sollicités.
  •  Une logique de suspicion du travail des personnels semble sous-jacente à ces modes de pilotage et d’injonctions au changement : on postule que ce qui se faisait jusqu’ici en matière de formation n’était pas acceptable, sans aucune évaluation, sans aucun regard, sans la moindre écoute des principaux concernés.
  •  Enseignant-formateur, un métier de plus en plus sous contrôle ? Aux outils « novateurs » comme Compas, qui rognent sur une confidentialité pourtant essentielle, s’ajoutent et se développent des « prescriptions à enseigner », des manières de faire suggérées, peut-être bientôt imposées (ressources prêtes à utiliser, déroulés déjà rédigés). Harmonisation ou volonté d’entraver progressivement la liberté et la responsabilité pédagogiques ?

    … des choix arbitraires et dogmatiques :
  •  Une hiérarchisation arbitraire des objets d’enseignement, de formation et de recherche :
    – des disciplines d’enseignement d’abord, dans la logique de ce qui est décidé comme des apprentissages fondamentaux (SLEC), et d’autres qui ne le seraient pas ;
    – les disciplines « non essentielles » (arts, culture) perdent un volume conséquent ;
    – le temps dédié à la polyvalence, identité même des enseignants (premier degré, mais pas seulement) devient accessoire ;
    – la recherche n’a plus vocation à être plurielle, à ouvrir au monde, à enrichir la réflexion par l’approrpiation de ses outils et approches spécifiques pour aborder la complexité des phénomènes éducatifs. L’INSPé se coupe du monde de la recherche en sciences de l’éducation dans sa pluralité, et les sciences humaines et sociales sont négligées.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons collectivement à la remontée des maquettes, à nos yeux illégitimes. Nous demandons à (re)mettre en débat le cadre de la mise en œuvre de la réforme à l’INSPé de Lyon.

Ce texte envoyé le 08.02.2021 à la direction de l’INSPé de Lyon a été signé par soixante formateurs

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