Casse de l’éducation prioritaire, groupe de niveaux, tri social… la colère gronde au collège Maria Casarès de Rillieux-la-Pape et dans la coordination des collèges contre la réforme.

Après 5 jours de grève des personnels de l’établissement, les parents étaient au rendez-vous sur le piquet de grève devant le collège lundi 12/02. Ils ont pu, nombreuses et nombreux, échanger avec les enseignant·es : éducation prioritaire, groupes de niveaux, nouvelles fermetures de classe, perte de 77 heures d’enseignement hebdomadaires à la rentrée 2024… Le moins que l’on puisse dire, est que l’incompréhension était totale.

Combien de parents nous ont dit, « mais ce n’est pas possible, ce que l’on nous fait à nous dans la société, on va aussi le faire à nos enfants, à l’école ? Alors quoi, les petits ils vont arriver à 11 ans au collège, déjà ils sont tout perdus et on va leur dire “toi t’es mauvais, on te met dans un groupe de mauvais ?”. Ils vont être découragés! » Combien de fois avons-nous entendu, « mais mon enfant il a de la difficulté en lecture, ou encore il est dyslexique, alors il va être séparé des autres, regroupé avec les faibles ? Déjà qu’il n’y a pas assez d’heures d’AVS [sic] pour s’occuper d’eux ! »

Il faut dire qu’il n’y a pas besoin d’être le fils spirituel de Philippe Meirieu pour comprendre le choix de société qui se déguise derrière les groupes de niveaux. Imaginez un cours d’arts martiaux pour adultes dans un club. Les membres, des ancien·nes expérimenté·es et des nouveaux qui débutent. Toutes et tous s’entrainent ensemble. Les débutant·es profitent de l’expérience des ceintures marrons et noires, qui leur expliquent, leur montrent, les entrainent individuellement aux gestes techniques, leur font profiter de leur expérience de combat. Il faut dire qu’iels en profitent également pour progresser. Savoir montrer et expliquer, c’est passer à un niveau de maîtrise supérieur, parce qu’expliquer nécessite de prendre du recul, de conceptualiser dans le détail ce que l’on fait habituellement sans réfléchir… tout le monde est gagnant·e. Ce qui se passe dans ce club, c’est ce que l’on retrouve dans les pédagogies coopératives, dans des groupes hétérogènes en classe.

Maintenant faites deux groupes : les ceintures noires d’un côté et les blanches de l’autre. Il y a fort à parier que les blanches progresseront moins vite, faute de partenaire expérimenté·e avec qui combattre, et se lasseront de répéter comme à la parade des heures durant les gestes techniques enseignés par le seul maître, aussi bon soit-il. La 1ere situation est une configuration humaine, de vie, et d’apprentissage par les interactions. La 2e une situation pédagogique de transmission, sans expérimentation humaine entre pairs des savoirs, juste par mimétisme, sans intelligence du geste, rébarbative et peu efficace au moment de réinvestir les apprentissages.

Quelle société voulons-nous préparer pour demain avec cette réforme ? Dans une perspective de relocalisation des productions pour raisons climatiques, c’est de la main-d’oeuvre peu qualifiée et précaire que l’on va demander à l’école de produire, en sélectionnant, en triant de plus en plus tôt. Les mauvais élèves seront pointés dès la 6e, à 11 ans, et pour celles et ceux qui n’auront pas le brevet oubliez la poursuite d’études. Il leur restera l’apprentissage si les entreprises sont partantes pour accueillir des jeunes sans vrai bagage scolaire, ou les emplois déqualifiés et précaires.

C’est dans cette perspective, dans ce choix de société que l’éducation prioritaire est désossée. Les heures attribuées aux élèves qui en ont le plus besoin dans un très relatif souci non pas d’égalité mais bien d’équité scolaire, sont reprises pour être distribuées dans l’ensemble des collèges lambda, là où les heures d’accompagnement ont fondu depuis bien longtemps sous le soleil de la rigueur budgétaire pour les services publics, au point qu’il n’est plus possible de constituer le moindre petit groupe. Et oui ! Pour se payer 120 milliards de vol fiscal par an au profit des plus riches, il faut bien accepter des renoncements pour tou·te·s non ? Ces heures prises à l’éducation prioritaire vont donc permettre dans l’ensemble des collèges qui n’ont plus rien, la mise en place de groupes de niveaux, pour déployer encore plus de tri social dans chaque établissement. Oui, vous avez bien lu, il s’agit de prendre à celles et ceux qui n’ont rien si ce n’est le service public d’éducation pour espérer voir leurs enfants s’en sortir, afin de se donner les moyens de faire du tri social partout ailleurs. Les parents dans les citées l’ont bien compris. Les personnels aussi. Et c’est pour cela qu’un certain nombre de collèges d’éducation prioritaire se sont coordonnés et mènent actuellement la lutte dans une grève roulante et en actions : Alain à St Fons, Eluard et Michelet à Vénissieux, Brassens à Décines, Valdo à Vaulx-en-Velin, Schoelcher à la Duchère, Lagrange à Villeurbanne, Casarès à Rillieux…

Des préavis de grève sont posés pour la rentée et d’autres collègues dans d’autres établissements sont en train de s’organiser pour rejoindre cette lutte qui reprendra n’en doutons pas à la rentrée, car elle dépasse la simple question pédagogique. Le « choc des savoirs » est dans les faits un « choc sociétal », une brutalité à l’encontre des pauvres et des exploité·es, une guerre des classes menée par le microcosme de la finance et du capital macroniste, dont la Minisitre Oudéa-Castéra n’était pas une caricature, mais bien l’expression naturelle, dans toute la profondeur de sa bêtise crasse, d’une grande bourgeoise issue d’une caste séparatiste qui n’a jamais dépassé son entre-soi, lâchée par erreur à la tête d’un ministère, sans les filtres habituels des « communicants ».

Cette contestation n’est pas la contestation d’une énième réforme de l’éducation nationale sans bilan ni perspective, pondue des lubies de tel politique ou telle personne influente, mais bien une bataille pour la jeunesse et pour les choix de la société de demain.